Saint-Josse est marqué de rouge sur chaque carte que je regarde. Ce quartier de Bruxelles proche d’une gare, possède un quartier voué à la prostitution et a connu des émeutes en 1998. Saint-Josse arbore également la couleur rouge de ses bourgmestres socialistes et des nombreux turcs, marocains, français, italiens, espagnols, congolais, portugais, britanniques, algériens et hollandais. A la suite d’une législation sur la nationalité plus flexible, le nombre d’habitants d’origine étrangère a diminué de 54% à 44% en 2000. Cette courbe rouge s’incurve vers le bas de manière constante. Il n’y a pas beaucoup de vieilles personnes. D’autre part, le manque d’éducation des jeunes est un problème majeur.
Redouan (!), qui tient un snack, m’a expliqué comment, quand il avait 14 ans, il anticipait chaque jour la prochaine leçon de mathématique. Arbitrairement, on lui conseilla de changer de section pour se consacrer à un cours de carosserie et métallurgie. Il en faut moins que cela pour vous faire rougir de honte sur le futur qui s’étale devant vous. Trop de familles nombreuses vivent les unes sur les autres et trop de maisons sont trop petites et leur confort trop limité. Comme partout ailleurs à Bruxelles, les célibataires forment la portion la plus large de la population. Il y a sept mille familles à Saint-Josse, c’est-à-dire 15.541 personnes dans une zone qui fait un peu plus qu’un demi kilomètre carré. Seul un foyer sur quatre n’a pas déménagé durant les années ’80, ce qui signifie que la mobilité résidentielle est énorme. La plus petite partie se réfugie à Charleroi où elle vit dans des parcs à caravanes. Comme si Bruxelles ne voulait pas que les « survivants » restent dans l’enceinte de ses murs. Ils sont rayés au bic rouge.
Une baleine appelée environnement
A travers l’Europe, des centaines de quartiers résidentiels dilapidés comme celui-ci, ont les qualifications nécessaires pour recevoir une stimulation financière du gouvernement, liée au développement de la participation des résidents à un niveau local. Cette idée trouve son origine dans la lutte pour l’environnement et peut être largement appliquée. « L’environnemen » est décrit par les Nations Unies, dans le Traité de la Commission Economique pour l’Europe, mieux connu sous le nom de Traité de Aarhus (1998), comme un cadre adapté pour la santé de chacun, et c’est précisément sur ce point que le traité devient intéressant : quand les concepts d’administrer et de vivre sont perçus sous le même jour, égaux et complémentaires. Additionnellement, en tant que principe actif, ils appartiennent à tout un chacun. Grâce à la pression exercée par les mouvements environnementaux, nous découvrons des garanties précisément formulées pour un exercice efficace de notre citoyenneté. Le Traité d’Aarhus n’est à ce jour toujours pas opérationnel. Il est de notre ressort de ne pas laisser ce document progressiste être soigneusement arrangé dans les plate-bandes de faux bégonias des façades derrière lesquelles on ne voit plus aucune maison. Ce paradoxe n’est peut-être pas immérité mais en réalité, les politiciens ne font un usage conscient et efficace de notre notion de citoyenneté qu’en tant de guerre.
Les contrats de quartiers et de villes rament prudemment dans ce réservoir sur lequel plane un orage potentiel. Les contrats de quartier impliquent l’argent du gouvernement dans des programmes de 4 ans afin de fournir une stimulation à un environnement de travail et de vie problématique au sein des villes. Tout tourne autour du développement et de la gestion de l’espace public, des programmes de réimplication socio-professionnels pour les chômeurs longue durée, ainsi que des facilités de logement et de communauté. L’argent est également injecté afin d’encourager la participation des résidents. C’est le Herold d’une collectivisation douce de la prise de décision à un niveau local. Malgré le fait que le terme de « participation publique » (souvent un euphémisme pour l’organisation de fêtes de quartier et l’emplissage de boîtes aux lettres dépliants en papier glacé) est souvent utilisé dans ce contexte, quelque chose de fort différent s’est produit en 1999 à Saint-Josse. Nous avons utilisé le budget Participation pour couvrir les frais d’expertise académique externe et d’éducation. Les citoyens ont peut-être besoin d’aide pour la reconnaissance de leurs droits, vous voyez. Avec quelques difficultés, des groupes de travail de résidents ont démarré ce qui en plus des trois réunions annuelles obligatoires avec l’autorité locale, fonctionne de manière complémentaire et thématique. D’un point de vue juridique, ces associations de facto opèrent sur un mode informel qui est en mesure d’influencer des décisions entre autre, comment la participation résidentielle peut êre concrète et efficace. En ce sens, un activiste vétéran des logements sociaux a obtenu rémunération pour sa participation au réunions. Un urbaniste indépendant assiste les participants dans l’organisation de discussions de large mesure. Dans le sens de cette structure lâche mais financée, leurs points de vue ont été confrontés avec ce secteur de la population qui ne souhaite pas se spécialiser dans la rencontre avec des hommes politiques. Ces habitants, qui essaient d’arriver à l’amélioraiton de leur environnement par d’autres moyens.
Stratégie active
Néanmoins, de février à mars 2001, un sentiment de découragement général s’est installé au sein du groupe de participants. Il n’y avait toujours pas de point de contact ouvert ou orienté vers le voisinage. Après 18 mois de réunions, le Conseil Local de Saint-Josse n’avait toujours pas pris la moindre initiative afférent à un changement mineur de l’esthétique des rues. Aucun éclairage public supplémentaire ne fut installé, aucun trottoir ne fut élargi. Mis à part l’installation d’un parc semi-public, il n’y a rien à voir. Dans ce micro-climat tendu, choqués par la violence et les disputes intestines infernales, nous estimions que le moment était opportun pour organiser des interviews vidéos percutantes. Avec toutes les personnes impliquées et autant de personnes possible. Le bureau de chômage devint le studio d’enregistrement et le quartier général pour des ateliers vidéo dans le quartier. 15 habitants, principalement blancs, donnèrent libre cours à leurs idées durant les week-ends. Deux anciens organisateurs de la Mission Locale (bureau d’emploi social majeur), le bourgmestre, un architecte et un politicien local fraîchement élu. Deux propriétaires parlèrent de leurs expériences avec le système de subsides de la rénovation urbaine. Fin mai, douze brouillons classés par sujet furent rapidement compilés, et ceux-ci provoquèrent une foule de commentaires lrosqu’ils furent visionnés chez Karim et au bureau radical le même soir. Il y eut un accès à plus de vingt heures d’interviews enregistrées. Certains sujets s’ouvrirent directement. Bizarrement, il semblerait que ces réunions ne soient pas un lieu d’échanges d’idées. Une marée de paroles emplies de projets enthousiastes, de visions philosophiques et de déclarations…
Je n’aime pas les cités dortoirs où il ne se passe absolument rien. J’aime bien les quartiers populaires où les gens vivent dans la rue et où les magasins sont ouverts tard le soir. La partie proche du centre ville est particulièrement attrayante, de par son accessibilité à pied, en vélo ou par les transports publics. (Bernadette)
Le fait de clamer haut et fort une quelconque cohabitation est particulièrement difficile. Quelques personnes disent peut-être que les gens sont à leur mieux quand ils sont parmi les leurs et qu’en conséquence, il n’y a pas de problème. Il existe dans les villes une densité qui fait que les contacts humains sont intenses, tout comme les frictions. Mais il est plus facile de dire que l’on va bâtir des logements sociaux pour les pauvres parce qu’ils sont là que de bâtir des logements sociaux à Uccle afin de sauver les quartiers moins favorisés d’une quelconque ghettoisation. Et donc, on laisse les choses en l’état. (Patrick)
Ces pensées ont été transmises avec le moindre effort par les projections des vidéos. Regarder ces interviews ensemble était devenu un événement alternatif. Des mots qui n’avaient pas été prononcés depuis trop longtemps bouillaient à la surface. Des hiérarchies invisibles qui s’étaient développées à l’occasion de plusieurs réunions par le fait que certaines personnes plus que d’autres prirent la parole, cessèrent de fonctionner, furent nivellées vers le bas et prirent une forme plus horizontales, dans cette zone collective impétueuse et non préconçue. Très graduellement, un espace où les gens écoutaient et où tout le monde avait la parole, prit forme. Un groupe fait apparemment d’air pur dont tout le monde avait anticipé la mort par déssèchement. Comme le poète du 17è siècle le dit : choqués par la violence et les disputes intestines infernales.
N’effacez pas vos messages
Lorsque les enregistrements et soirées vidéos commençèrent à jouer une part active dans le processus de préparation des réunions et activités, la maintenance et la documentation d’anciens matériels devint à la fois souvenirs et projets. Etroitement connecté à d’autres ressources telles que l’implantation d’un site internet, le journal de quartier qui combinait les stratégies budgétaires, la libre expression des opinions et la liberté des associations, les archives se transformèrent en une roue qui doublait de taille jour après jour. Les écoles, les sociologues, les urbanistes, les artistes, tous purent les utiliser. Ces archives furent utilisées dans la conception de publications et de communiqués de presse. Une fois que tout est écrit, vous vous rendez compte que vous avez soudainement produit le contenu d’un journal de quartier. Cette performance orale et écrite passe à la radio. Une image vidéo sur la nouvelle affiche. Durant les groupes de travail et projections publiques, des groupes sont aléatoirement et de façon inattendue, mélangés à d’autres groupes et confrontés avec d’autres sujets que le repavement d’un square. Religion ! Police ! Ecole ! (Pourquoi est-ce que je vis ici ?). Voici quelques sujets qui sont sous l’analyse quotidienne du quartier. Cette liste non exhausitive d’histoires urbaines est un instrument analytique entre des mains collectives.
Un produit culturel critique pour ceux qui veulent regarder à travers les verres. L’anecdote en fait pratiquement partie. Un drame discuté de toute part, examiné et qui donc amène du changement. Plus que tout au monde, je crois que la mémoire a ses droits. Pour me référer à Bergson, à la fin de Matière et mémoire : l’esprit emprunte à la matière les perceptions dont il puise sa nourriture et les rend sous forme de mouvement dans lequel est gravé sa liberté. (JLG)
Acupuncture psycho-géographique
Dériver avec une caméra. Influencer, détourner ou interférer à l’aide de flux énergétiques dans un lieu particulier par l’application précise de la caméra.
L’acupuncture psycho-géographique est un outil important que nous avons développé au sein de notre stratégie active. Explorer une zone, explorer doucement à l’aide de la caméra pour trouver les points critiques de sensibilité. Laisser l’objectif et le «focus » dicter la position de chacun dans la pièce ; appuyer contre un mur, allongé sur le sol, être statique et occuper une place dans une zone de fluides.
La caméra n’est pas seulement un senseur d’exploration mais est également un instrument de changement. Concentrer l’attention d’un passant sur un détail minuscule, qui dérange momentanément une activité quotidienne, et qui peut-être scarifie une après-image sur leur mémoire de ce jour ou de cet endroit. Le caméraman doit être à la fois sensible et réceptif aux approches du public à partir du moment où la caméra les attirera.
Diagnostic : une caméra est un excellent « détecteur » de pouvoir. Une utilisation judicieuse de la caméra tirera de cette énergie de puissance d’un endroit particulier ; « vous ne pouvez pas filmer ici ». « Vous avez besoin d’une autorisation, etc ». Sans l’aide d’une caméra qui pique la surface, vous pourriez passer au travers d’une zone toute votre vie en étant heureusement inconscient de la manière dont elle est infectée par le pouvoir et la législation.
Prescription : nous recommandons un dosage régulier de caméra dérive comme moyen de prévention à la complaisance, l’ennui et la débilitation. L’acupuncture psycho-géographique fonctionne le mieux dans un environnement sec et illuminé de façon dramatique mais peut et devrait être administré sous maintes conditions. Il n’est pas possible de faire une overdose. Néanmoins, le non initié, lors de son premier voyage devrait idéalement être accompagné d’un adulte irresponsable.
Effet secondaire : « Moment Magique » de la vidéo.
Précaution : ne pas mélanger avec de l’alcool.
Le grand Swindle de la participation
En pratique, toutes les politiques européennes sont interprétées au travers d’une hiérarchie de filtres, de gouvernements nationaux et régionaux et d’administrations locales des villes. Pour arriver à ce que ces politiques soient insérées au sein de structures constitutionnelles locales existantes, un degré de domestication est toléré. Cette domestication de politique urbaine européenne, obscurcit la force conductrice réelle nichée derrière ce qui apparaît souvent sur le terrain être localement inspiré, desérruptions spontanées d’illuminations.
Les politiciens sont réticents à détruire cette mauvaise conception, car non seulement il existe une gloire réfléchie qui peut être gagnée mais il faut aussi révéler la véritable source de leur intérêt récemment trouvé dans des notions de participation qui révéleraient également qu’une participation sensée est une condition pour l’obtention de leurs budgets. En conséquence, les gens en Angleterre croient que le Nouvel accord pour les Communautés est une initiative du Parti Travailliste, les gens à Bruxelles croient que le contrat de quartier est une initiative gouvernementale locale, qu’à Florence le contratte di quartiere est une initiative du Parti Socialiste régional. Cette ignorance ne fait que faciliter l’abus de la notion de participation.
Les hommes politiques comprennent bien qu’il y a et la lettre et l’esprit de tout contrat, mais que la chose la plus importante est d’obtenir les fonds. Il n’est pas difficile d’apposer un timbre cynique sur la notion de participation, une personne peut participer en tant que « consultant » à une série de pseudo problèmes pré déterminés tels que le style de l’éclairage public. L’on peut participer par sa présence, à une « journée portes ouvertes » afin de s’ébahir gormlessly face à la maquette impressionnante des tours du « fait accompli » proposé. Ou l’on peut participer en étant l’une des deux personnes ayant choisi l’option du conseil de représentation des habitants où l’on est en sous nombre par rapport aux hommes politiques, intérêts des sociétés, représentants de la police, et fonctionnaires gouvernementaux. Incapable de produire une quelconque influence réelle, votre présence ne sert qu’à avaliser et à investir un semblant de démocratie dans des décisions qui auraient de toute façon été prises mais derrière des portes encore plus fermées en d’autres temps.
Nous voyons que notre travail vidéo sert d’antidote à ce cynisme, relève les attentes, afin de faire briller sa lumière sur le contexte européen de politique urbaine, afin de se concentrer sur la notion de citoyenneté et des droits politiques.
Les politiciens, obsédés par leur image, adorent la caméra. Une caméra qui est … dans une paire de mains sûre. Pour un homme politique, la vidéo se prononce relations publiques. Au mieux, la caméra est un outil utile mais sans danger, servant à la compilation de « preuves » de leurs efforts « d’impliquer » le public dans le grand manège de la participation. Il existe néanmoins un mouvement prometteur qui va l’encontre de cette tendance.
Aarhus is a very very very fine house
Convention des Nations Unies : Reconnaissant en outre le rôle important que les citoyens, les organisations non-gouvernementales et le secteur privé peuvent jouer dans le domaine de la protection de l’environnement,
Reconnaissant également que chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et le devoir, tant individuellement qu’en association avec d’autres, de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations présentes et futures,
Considérant qu’afin d’être en mesure de faire valoir ce droit et de s’acquitter de ce devoir, les citoyens doivent avoir accès à l’information, être habilités à participer au processus décisionnel et avoir accès à la justice en matière d’environnement, étant entendu qu’ils peuvent avoir besoin d’une assistance pour exercer leurs droits,
Reconnaissant que, dans le domaine de l’environnement, un meilleur accès à l’information et la participation accrue du public au processus décisionnel permettent de prendre de meilleures décisions et de les appliquer plus efficacement, contribuent à sensibiliser le public aux problèmes environnementaux, lui donnent possibilité d’exprimer ses préoccupations et aident les autorités publiques à tenir dûment compte de celles-ci,
Cherchant par là à favoriser le respect du principe de l’obligation redditionnelle et la transparence du processus décisionnel et à assurer un appui accru du public aux décisions prises dans le domaine de l’environnement,
(Source : The Aarhus Convention. An Implementation Guide, 1998, www. unece.org/env/pp/)
Axel Claes PTTL / Mark Saunders Spectacle,
Saint-Josse, January 2002
Videos:
Call me Josse 25 mins.
Participation 18 mins.